Le marché du travail en Turquie est en constante évolution, influencé par des dynamiques économiques, technologiques et politiques. Alors que le pays cherche à renforcer son attractivité pour les investisseurs étrangers et à soutenir sa croissance industrielle, les tendances de l'emploi et les politiques de l’Etat jouent un rôle crucial dans la structuration du marché. Cet article dresse un bilan du marché du travail turc en 2024 et propose une analyse des perspectives pour 2025.
Bilan du marché du travail turc en 2024
Taux de chômage et participation au marché
Avec une population dépassant
86 millions d’habitants, la Turquie possède l'un des plus grands marchés du travail de la région. Sa capitale économique,
Istanbul, compte plus de
16 millions de résidents, tandis que d'autres centres économiques majeurs incluent
Ankara, Izmir et Bursa. Grâce à sa position stratégique et à une main-d’œuvre jeune et dynamique, la Turquie est une destination attractive pour les investissements nationaux et étrangers.
Le
PIB turc
a atteint
1,1 trillion USD en 2023
(taux de croissance de 4,5%) et devrait progresser à
1,2 trillion USD en 2024, l’un des plus élevés parmi les pays de l’OCDE. L'économie turque est diversifiée, avec des secteurs industriels, technologiques et de services solides.
La
livre turque (TRY)
reste volatile, avec un taux de change de
1 USD = 37 TRY et 1 EUR = 38 TRY début 2025. Toutefois, les efforts du gouvernement pour stabiliser l’inflation et attirer les capitaux étrangers ont renforcé la confiance des investisseurs.
Le salaire minimum a augmenté de 30% en 2025. À compter du 1er janvier, le salaire mensuel brut s’élève à 26 005,50 TRY, tandis que le salaire net atteint 22 104,67 TRY.
D'après les dernières données sur la main-d'œuvre publiées le 10 février 2025, le taux de chômage en décembre 2024 s'est établi à 8,5%, reflétant une relative stabilité du marché de l’emploi. Le nombre total d’actifs occupés a atteint 32,7 millions de personnes, portant le taux d’emploi à 49,5%. La population active s’est quant à elle élevée à 35,7 millions de personnes, avec un taux de participation au marché du travail de 54,1%.
Ces résultats traduisent une légère amélioration par rapport aux années précédentes, soutenue par la reprise économique post-pandémie et la dynamique positive de plusieurs secteurs stratégiques tels que l’industrie manufacturière, la logistique et le tourisme. Toutefois, des défis subsistent, notamment en ce qui concerne l’emploi des jeunes. En effet, le taux de chômage des 15-24 ans demeure préoccupant, atteignant environ 16,1% au quatrième trimestre 2024.
Principales tendances du marché du travail turc en 2024
Plusieurs facteurs ont influencé le marché du travail turc en 2024 :
- Augmentation des investissements directs étrangers (IDE) : la Turquie a attiré 11,3 milliards d’IDE en 2024, un chiffre en hausse de 5,6% par rapport à 2023 alors que le contexte mondial est marqué par une baisse de 8% des flux d’investissements directs étrangers. Avec 2,3 milliards USD investis, le secteur manufacturier reste le principal moteur de l’attractivité turque, représentant 34,5% des IDE. Il a enregistré une hausse spectaculaire de 32,5% par rapport à 2023 se traduisant par une hausse des emplois dans dans les secteurs clés comme l’automobile, la défense et l’énergie
- Expansion des modèles de travail hybrides : environ 55 % des entreprises du secteur des services ont adopté des politiques de travail hybride ou à distance, notamment dans l’IT, la finance et le conseil.
- Forte demande de main-d'œuvre qualifiée : des secteurs comme l’intelligence artificielle, la cybersécurité, l’automatisation et les énergies renouvelables ont connu une pénurie de talents, entraînant une hausse des salaires.
- Incitations gouvernementales à l’emploi : de nouveaux programmes d'incitation ont stimulé l'emploi dans les secteurs manufacturier, logistique et axé sur l'exportation.
- Impact de la migration : la Turquie restant un pays clé pour le transit des migrants, les politiques concernant l'emploi des réfugiés syriens et afghans ont influencé la disponibilité de la main-d'œuvre, notamment dans la construction, l'agriculture et le textile.
Secteurs en croissance et opportunités d'emploi en Turquie
Plusieurs secteurs ont connu une forte croissance en 2024, stimulant la création d'emplois :
La Turquie s’est imposée comme un hub de production incontournable pour l’Europe, bénéficiant de sa position géographique stratégique et de coûts de production compétitifs.
Industrie manufacturière : un moteur clé de l’emploi
- Automobile : l’essor des véhicules électriques et hybrides a stimulé la production locale, avec de nouveaux investissements d’acteurs majeurs du secteur comme le constructeur chinois BYD. L’augmentation des capacités de production de TOGG, le constructeur automobile national, a également généré de nombreux emplois dans l’assemblage, l’ingénierie et les services connexes. Par ailleurs, la présence d’équipementiers et de sous-traitants spécialisés soutient une chaîne d'approvisionnement robuste et en constante évolution.
- Sidérurgie et métallurgie : la Turquie est un important producteur d’acier en Europe et un fournisseur clé pour plusieurs industries, notamment l’automobile et la construction. Avec la transition vers des procédés de fabrication plus écologiques et l’adoption de nouvelles technologies, le secteur continue de générer de nombreux emplois, particulièrement dans la transformation des métaux, la maintenance industrielle et l’ingénierie des matériaux.
- Industrie chimique et plasturgie : la production de produits chimiques, de plastiques et de polymères est essentielle à de nombreuses chaînes d'approvisionnement, allant de l’automobile à l’agroalimentaire. La demande pour des experts en chimie, en ingénierie des matériaux et en production durable est en forte croissance, notamment avec les réglementations environnementales qui poussent les entreprises à innover dans le recyclage et les matériaux biodégradables.
- Industrie de la défense et de l’aéronautique : grâce aux politiques d’industrialisation et aux investissements dans l’autosuffisance technologique, la Turquie a vu émerger un secteur de la défense en pleine expansion. Des entreprises comme ASELSAN, TUSAŞ et Roketsan recrutent activement des ingénieurs, techniciens et spécialistes en cybersécurité, électronique avancée et matériaux composites. Ce secteur bénéficie également d’un soutien fort de l’État, favorisant la création d’emplois hautement qualifiés.
Technologies de l’information (IT) et digitalisation : un secteur en plein essor
Le numérique est devenu un levier de compétitivité majeur pour l’économie turque, porté par l’adoption accélérée des technologies émergentes et des incitations à l’innovation.
- Développement logiciel et ingénierie informatique : la demande pour les développeurs, les ingénieurs en intelligence artificielle et les spécialistes du cloud computing a explosé, notamment dans les entreprises technologiques et les startups en forte croissance.
- Cybersécurité : avec l’augmentation des cybermenaces, la protection des données et des infrastructures numériques est devenue une priorité pour les entreprises, générant un besoin accru en experts en cybersécurité et analystes en gestion des risques.
- Analyse des données et intelligence artificielle : l’essor du big data et des solutions basées sur l’IA a stimulé la demande pour les analystes de données et les data scientists, notamment dans les secteurs bancaire, industriel et du commerce électronique.
Tourisme et hôtellerie : un rebond spectaculaire
Après un ralentissement causé par des incertitudes économiques et géopolitiques, le secteur du tourisme a enregistré un retour en force en 2024, avec des chiffres records de visiteurs. Le pays a accueilli plus de 62,2 millions de visiteurs en 2024, un chiffre en hausse de 9,4% par rapport à l’année précédente :
- Expansion des infrastructures hôtelières : de nouveaux hôtels et resorts ont vu le jour pour répondre à l’afflux croissant de touristes, entraînant une forte demande de personnel qualifié dans la gestion hôtelière et les services d’accueil.
- Tourisme médical et bien-être : la Turquie s’est imposée comme une destination phare du tourisme médical, attirant des patients du monde entier pour des soins esthétiques, dentaires et ophtalmologiques, ce qui a généré de nombreuses opportunités d’emploi pour les professionnels de la santé. Selon les derniers chiffres publiés par le ministère de la santé, la Turquie a accueilli plus de 2 millions de touristes médicales en 2024 générant 10 milliards USD de revenus.
- Tourisme culturel et expériences immersives : l’intérêt croissant pour des expériences plus personnalisées a favorisé le développement d’agences spécialisées et d’activités touristiques axées sur le patrimoine et l’artisanat local.
Secteur énergétique : un virage vers les énergies renouvelables
L’engagement croissant de la Turquie en faveur d’une transition énergétique durable a stimulé les investissements dans les énergies renouvelables, notamment éolienne et solaire.
- Éolien et solaire : de nombreux projets de parcs solaires et éoliens ont vu le jour, créant des opportunités pour les ingénieurs en énergies renouvelables, les techniciens de maintenance et les experts en stockage d’énergie.
- Hydrogène vert : avec les premières initiatives autour de l’hydrogène vert, la Turquie ambitionne de se positionner comme un acteur clé dans ce domaine, ce qui devrait entraîner une demande accrue en R&D et en ingénierie énergétique.
- Modernisation des infrastructures énergétiques : la modernisation du réseau électrique et des infrastructures de distribution a nécessité l’embauche de nombreux techniciens et ingénieurs spécialisés.
Enjeux et défis
Malgré ces tendances positives, le marché du travail turc fait face à plusieurs défis :
- Précarité et informalité : près de 30% des travailleurs occupent encore des emplois informels sans protection sociale.
- Mauvaises conditions de travail dans certains secteurs : l'augmentation des salaires ne suit pas toujours l'inflation, réduisant le pouvoir d'achat des travailleurs.
- Déséquilibre régional : les opportunités d'emploi sont davantage concentrées dans les grandes villes comme Istanbul, Ankara et Izmir, laissant certaines régions en difficulté.
Stratégie nationale pour l'emploi en Turquie 2025-2028 : objectifs et mesures clés
La Stratégie nationale pour l’emploi 2025-2028, présentée début février 2025 par le président Recep Tayyip Erdoğan, repose sur une approche intégrée visant à stimuler l’emploi, renforcer la formation professionnelle et encourager l’inclusion des femmes et des jeunes sur le marché du travail. Voici les principales mesures et objectifs du plan :
Développement de l’emploi et soutien à la création de postes
- Renforcement de la politique économique axée sur l’investissement, la production et l’exportation, créant ainsi un environnement favorable à l’emploi.
- Instauration d’incitations fiscales et financières pour les entreprises recrutant des travailleurs qualifiés.
- Augmentation des investissements dans les secteurs stratégiques, notamment l’industrie, la technologie et les services, pour générer davantage d’emplois durables.
- Soutien accru aux PME et aux startups à travers des financements et des subventions favorisant la création de nouveaux emplois.
Inclusion des femmes dans le marché du travail
- Extension du programme İŞ Pozitif, qui a déjà permis à 833 366 femmes d’accéder à l’emploi en une année.
- Mise en place de dispositifs de garde d’enfants et d’aménagement du temps de travail, facilitant ainsi la participation des femmes à la vie professionnelle.
- Encouragement à l’entrepreneuriat féminin, avec un accès facilité au crédit et aux formations spécifiques.
- Égalité salariale et lutte contre la discrimination professionnelle, avec des audits réguliers et des campagnes de sensibilisation.
Formation et montée en compétence de la main-d’œuvre
- Renforcement du programme de formation en entreprise, qui a déjà bénéficié à 65 739 travailleurs en 2024.
- Développement du programme de formation de main-d’œuvre qualifiée, qui a déjà touché 1 212 personnes depuis janvier 2025.
- Accélération du programme d’adaptation de la main-d’œuvre, qui a formé 137 476 personnes en trois mois, dont près de 90 % de femmes.
- Collaboration avec les universités et centres de formation pour aligner l’offre éducative sur les besoins du marché du travail.
Intégration des jeunes et renforcement de leur employabilité
- Lancement du programme İŞKUR Jeunesse, conçu pour permettre aux étudiants universitaires de développer leurs compétences tout en poursuivant leurs études.
- Mise en place de stages et d’alternances obligatoires dans les grandes entreprises pour faciliter l’accès au premier emploi.
- Développement de formations spécialisées en lien avec les nouvelles technologies et les industries émergentes.
- Encouragement aux initiatives entrepreneuriales chez les jeunes, avec des aides à la création d’entreprises et des mentorats.
Réduction du chômage et amélioration de la qualité de l’emploi
- Réduction progressive du taux de chômage, grâce à des politiques actives d’emploi.
- Soutien aux travailleurs informels pour favoriser leur intégration dans l’économie formelle, avec des incitations fiscales et des régularisations.
- Développement du travail à distance et du travail flexible, notamment dans les secteurs du numérique et des services.
- Renforcement de la protection sociale des travailleurs, incluant de meilleures conditions de travail et des droits renforcés.
Suivi et évaluation de l’impact du plan
- Publication de rapports réguliers par l’Institut turc de statistique (TÜİK) pour mesurer l’évolution des indicateurs du marché du travail.
- Mise en place d’un observatoire de l’emploi, chargé de suivre l’impact des réformes et d’adapter les politiques en fonction des résultats obtenus.
- Collaboration avec les organisations patronales et syndicales pour assurer un dialogue social efficace et un suivi des engagements pris.