« Dôme de fer » est le nom donné au socle basse couche du dispositif de défense aérienne IMDO, déployé progressivement par l’État hébreu à l’issue de la première guerre du Golfe en 1991.
Le socle basse couche israélien est opérationnel depuis 2011. Il est mis d’une manière quasi quotidienne à l’épreuve depuis les attaques du Hamas du 7 octobre 2023, en particulier pour intercepter et détruire les roquettes à courte portée de type Katioucha, ou de plus longue portée de 122 mm, tirées par le Hezbollah.
Le « Dôme de fer » israélien n’est donc, stricto sensu, que le premier niveau de protection à partir du sol. Le projet turc « Dôme d’acier » (Çelik Kubbe) ambitionne, au contraire, d’intégrer en réseau, aussi bien en mer que sur terre, les systèmes de défense aérienne multicouches[1], les capteurs et d’autres systèmes d’armes. Il s’agit, selon les autorités turques, d’un véritable « système de systèmes » qui devra permettre d’élaborer et de diffuser en temps réel, vers les centres d’opérations et les décideurs, une situation aérienne générale (Recognized Air Picture, RAP) affinée par l’apport de l’intelligence artificielle.
Le « Dôme d’acier » devra prendre en compte les dispositifs de sûreté aérienne déjà existants, notamment à Ankara et sur les détroits du Bosphore et des Dardanelles, et répondre à de nouveaux besoins comme la protection de la centrale nucléaire d’Akkuyu.
La décision de lancer le projet « Dôme d’acier » a été prise le 6 août 2024 par le Comité exécutif de l’industrie de défense (SSİK). Les déclarations politiques qui ont suivi précisent que le projet sera conduit d’une manière « locale et nationale », ce qui implique une conception et une fabrication des matériels entièrement en Turquie et par des sociétés turques. Les acteurs majeurs retenus pour le projet, ASELSAN, ROKETSAN, TÜBİTAK SAGE et MKE, s’appuient sur des sous-traitants locaux, ce qui n’empêchera pas de faire appel, si nécessaire, à des fournisseurs étrangers qui seront peu visibles, voire pas du tout, afin de mettre en avant la turcité des matériels.
Les systèmes de défense aérienne d’origine turque nécessaires à la réalisation du projet « Dôme d’acier » sont déjà en service ou en cours de développement.
S’agissant des armes :
- systèmes basse altitude courte portée (distance de tir < 5 km) :
- systèmes moyenne altitude moyenne portée (distance de tir < 20 km) : missile HİSAR-O+ qui possède une version navale (HİSAR-OD). Ils sont déjà en service. Dans la même catégorie, les MIM-23 HAWK / HAWK XXI transférés à la Turquie au titre de la SRA (Southern Region Aid) étatsunienne sont toujours opérationnels. En développement : le GÖKDEMİR. Le missile air-air courte portée GÖKDOĞAN (autodirecteur IIR) et le missile air-air moyenne portée BOZDOĞAN (autodirecteur RF, proche du missile israélien TAMIR) pourraient être adaptés aux systèmes HİSAR-A et HİSAR-O ;
- systèmes haute altitude longue portée (distance de tir > 20 km) : missile HİSAR-U/SİPER Ürün[2]-1, 2et 3, le premier (1) ayant été livré aux forces et les suivants (2 et 3) étant toujours en cours de développement. Comme l’emploi des S-400 achetés à la Russie pose question en raison de la possibilité de tirs fratricides[3], la Turquie compte encore sur ses MIM-14 NIKE HERCULES, ou sur les moyens de l’Alliance atlantique mis en place dans le cadre du NATO Support to Turkey – NS2T).
Il convient d’ajouter à cette liste le HİSAR-G/G+ qui serait un système HİSAR avec utilisation de munitions air-air GÖKTUĞ.
Concernant les radars :
L’industrie de défense turque développe aussi une majorité de composants nécessaires au « Dôme d’acier » : le système de positionnement par satellites (GNSS) KAŞİF, l’antenne KKS (GPS) et l’unité de mesure inertielle ATLAS. En outre a été lancé, le 5 décembre 2024, le projet de système d’informatique en nuage des forces armées turques (TSK Bulut Bilişim Sistemi Projesi) qui constituera une infrastructure importante pour le « Dôme d’acier ».
Le directeur général de ROKETSAN a déclaré que le « Dôme d’acier » protégera « l’intégralité de la Turquie contre les futures menaces aériennes »[4]. Comme cette affirmation ne fournit aucune précision sur la permanence du déploiement du dispositif, elle interroge à plusieurs titres.
Tout d’abord, l’État d’Israël, plus petit que la Turquie en superficie, disposerait d’au moins 10 dômes de fer pour la protection basse couche. Bien qu’un chiffre plus élevé soit parfois avancé, force est de constater qu’ils ne prennent pas en compte les projectiles qui frappent des zones inhabitées. La France, elle-même, ne pourrait pas couvrir d’une manière étanche la totalité de son territoire. Elle met en place, en cas de menace aérienne élevée, comme lors de grands évènements, des dispositifs particuliers de sûreté (DPSA) qui ont pour objectif de resserrer temporairement les mailles du filet de protection aérienne autour de la zone sensible à protéger. D’autres pays disposent, quant à eux, d’abris susceptibles de protéger les populations en cas d’attaque aérienne. Ainsi, une protection permanente du territoire turc d’une manière complètement étanche nécessiterait un contrat opérationnel quasiment impossible à assumer par les forces armées, ou alors au prix de douloureuses ruptures capacitaires.
Ensuite, le « Dôme de fer » israélien n’est pas totalement infaillible. Il n’a pas empêché, par exemple, l’attaque du Hezbollah contre une base militaire à Binyamina, dans le nord d’Israël, qui a coûté la vie le 13 octobre 2024 à quatre personnes et fait plusieurs dizaines de blessés. D’où le projet laser « Iron Beam » destiné à intercepter, et à détruire plus efficacement, les drones et les roquettes de type Quassam utilisées par le Hamas. Consciente de ce besoin, la Turquie a lancé les programmes laser similaires ALKA et GÖKBERK afin de compléter son projet « Dôme d’acier ».
Le coût sera une variable majeure. Des chiffres circulent selon lesquels un tir du « Dôme de fer » israélien coûterait plus de 10 000 dollars et un missile TAMIR environ 50 000 dollars ; d’où la nécessité pour la Turquie d’exporter plus tard son « Dôme d’acier » vers des pays alliés et amis, comme l’a annoncé le directeur général d’ASELSAN[5].
Enfin, le dispositif de protection aérienne israélien fonctionne grâce au soutien des États-Unis. La Turquie, bien que très volontariste dans sa quête d’indépendance vis-à-vis de l’extérieur, n’a pas un budget extensible à l’infini et n’a pas encore atteint sa pleine maturité technologique pour pouvoir développer des technologies performantes capables de neutraliser des cibles volant à très haute vitesse (près de 8 km/s). C’est au SSİK qu’il appartiendra, le temps voulu, de décider des priorités en matière de recherche et de programmes d’armement, et de procéder aux arbitrages nécessaires.
[1] Ou « stratifiés » : qui prennent en compte les différentes distances et altitudes des menaces.
[2] Ürun signifie « produit ». Portées annoncées : 100 km pour Ürun-1 et 150 km pour Ürün-2.
[3] Il est vital que les S-400 n’identifient pas comme ennemi un appareil turc ou allié au moyen de ses capacités A2/AD (Anti-Access/Area-Denial), d’où la nécessité de reprogrammer l’IFF (Identification, Friend or Foe, identification ami ou ennemi) à d’origine du système selon la perception turque de la menace avec la National Threat Data Bank et au moyen d’algorithmes nationaux et OTAN.
[4] « İkinci, Çelik Kubbe’nin, Türkiye’nin tamamını havadan gelecek saldırılara karşı koruyacak sistem olduğunu ifade ederek … » et « “Çelik Kubbe, Türkiye’nin tamamını havadan gelecek saldırılara karşı koruyacak hava savunma sistemini ifade ediyor… »(https://www.c4defence.com/bu-sisteme-sahip-olan-ender-ulkelerden-biri-turkiye-olacak/).
[5] « ASELSAN Genel Müdürü Ahmet Akyol, ROKETSAN ve TÜBİTAK SAGE iş birliğinde üretilen yerli hava savunma sistemi Çelik Kubbe’yi Türkiye’den sonra dost ve müttefik ülkelerde de hayata geçirmek istediklerini söyledi » (https://www.aa.com.tr/tr/savunma-sanayisi/aselsan-misir-havacilik-fuarinda-milli-urunlerle-boy-gosteriyor/3322300).
Article rédigé par Patrice Moyeuvre, Officier Général en 2s de l'Armée de l'air et de l'espace française, chercheur à l'IRIS et Directeur des projets de défense et de sécurité au sein d'Advantis.
+90 216 622 622 8
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